Cela faisait quelques temps que je pensais à écrire un article sur ce sujet « Être une femme en Chine ». Je n’entends pas par-là être une femme chinoise. J’entends ici « être une femme, en Chine ». Être une femme en Chine est, sur certains points, différent d’être une femme en France.
Une femme, en Chine. Ok, en fait c’est moi 🙂
Depuis une semaine, il y a de nouveau un débat intensif sur le « féminisme », et les nombreuses raisons qui justifient l’existence de ce mouvement, ce qui me pousse à enfin écrire cet article. Par ailleurs, cela faisait quelques mois que je voyais fleurir sur la toile des articles sur le harcèlement de rue, et je pense que mon point de vue ici se placera dans la continuité de ceux-ci. Si certains internautes s’étonnent qu’on apporte autant d’importance au phénomène du harcèlement de rue, j’ai pour ma part été plutôt satisfaite qu’il soit ainsi publiquement dénoncé. J’ai en effet déjà été victime de ce type de « harcèlement » et je pense que, comme moi, de nombreuses françaises subissent ça à maintes reprises. Le type de harcèlement que j’ai rencontré est allé de la petite tentative de drague avec une phrase copiée-collée (vous savez, le genre qui vous fait bien rire) à la menace orale de me suivre si je ne répondais pas à mon interlocuteur, en passant par les propositions plus qu’étranges, et pire : l’homme qui se touche publiquement.
Tout cela n’est pas très réjouissant. Et ce qui aux yeux de certains hommes peut passer pour de simples accostes sympathique qui partent d’un bon sentiment (et devrait nous flatter, ah oui ?), est en fait aux yeux de celles qui le subissent un acte fatiguant et lassant. Sans compter que les petits sifflements et les regards qui balayent tout notre corps donnent vraiment l’impression d’être abaissée à la condition d’objet.
En France, plus précisément à Paris, j’effectue quotidiennement un parcours en transports en commun pour me rendre sur mon lieu d’études. Le point de départ, comme le point d’arrivée, ne sont pas des zones que l’on pourrait dire « sensibles ». J’effectue en revanche mon transfert à Châtelet-Les-Halles, qui n’est pas réputé pour être le lieu le plus sûr qui soit : il ne m’est néanmoins jamais rien arrivé. Ce que j’entends par là c’est que souvent les endroits où je me fais aborder n’ont rien de « dangereux » ou ne sont à priori pas propices à ce genre d’événements. Et pourtant, à n’importe quel endroit et n’importe quel moment je sais que quelqu’un peut me tomber dessus pour émettre son petit commentaire. Et c’est fatiguant et lassant, parce qu’on aspire juste à se déplacer tranquillement. (Attention, je ne suis pas pour la morosité ambiante dans les transports et le manque de courtoisie, mais ce n’est pas ce genre de comportement qui lutte contre l’atmosphère négative des transports : au contraire, il génère ou encourage un repli sur soi).
Femme à Pékin
Toute cette introduction pour vous dire : Ici, à Pékin (et l’idée peut être introduite aux autres endroits de Chine où je me suis rendue) : ce n’est pas le cas. Ma condition de femme (parce que c’est bien ce qui cause les accostes imprévues et souvent lourdingues à Paris) ne génère pas ce phénomène ici. Pour être honnête : oui, il m’arrive d’être dévisagée. Mais c’est parce que je suis une « Laowai » (老外), une étrangère avec un visage et des cheveux inhabituels ici. C’est parce que je suis une Laowai que des touristes -qui viennent de villes peu fréquentées par les occidentaux- sont surpris et amusés en me voyant. S’il m’arrive donc, en effet, de me faire fixer par des locaux : leur regard reste néanmoins toujours à hauteur de mon visage. En aucun cas ils ne me contempleraient de haut en bas pour « juger la marchandise ». Ils me fixent comme ils fixeraient d’autres étrangers, de sexe masculin. Cela n’a donc rien à voir avec ma condition de femme.
La question de la tenue
Cela m’amène à la question de la tenue. En France, il arriverait que certains justifient les cas de harcèlement (voire pire) par la tenue portée par la femme. Porter une jupe/robe trop courte, voire porter simplement une jupe (qu’elle soit courte ou pas), porter un décolleté, des vêtements moulants, etc deviennent des excuses et des justifications à ce harcèlement. Dans les gares parisiennes, il m’arrive de me sentir coupable d’avoir mis une jupe suite au regard immonde d’un passant qui m’a regardé de haut en bas puis émit une petite réflexion. Il m’arrive de m’en vouloir parce que oui, en effet, j’aurais peut-être dû mettre un collant plus opaque pour ne pas attirer l’attention sur mes jambes (et pourtant : je porte des tenues assez conventionnelles et pas vraiment aguicheuses). Il m’arrive de me dire que je devrais peut-être mettre ce rouge à lèvres foncé une fois arrivée à destination, pour prendre « moins de risques ». Inutile de continuer la liste.
En Chine : je peux porter n’importe quelle tenue, sans la crainte d’être jugée ou de ressentir une once de remord. De nombreuses chinoises ont souvent recours à la combinaison mini-jupe et hauts talons. Lors de soirées, elles n’hésitent pas à mettre le paquet sur le maquillage et les accessoires. Si tout est affaire de goût et qu’il se peut que ce style ne fasse pas l’unanimité, tel est leur droit, et elles en jouissent sans devenir les victimes de remarques misogynes. Elle s’habillent comme elle le veulent, et c’est bien normal. Tel est mon cas ici. Je n’ai jamais porté de tenues aussi courtes, et assumé d’avoir les jambes dénudées autant qu’ici. Je peux m’habiller comme je l’entends, personne ne s’amusera à me dévisager pour ça. Et c’est sacrément agréable. C’est une liberté.
Le sentiment de sécurité
Quelque soit sa tenue, quelque soit l’heure de la journée, quelque soit le type de transport : j’ai toujours un sentiment de sécurité à Pékin. Je n’ai pas peur de rentrer à pieds en robe à 2, 4 voire 6 heures du matin. Je n’ai pas cette petite crainte inconsciente que je ressens à Paris lorsque je rentre à pieds chez moi. Ce sentiment de sécurité, je ne l’ai jamais vraiment à Paris, tandis qu’ici il est permanent.
Et pourtant…
Et pourtant, il pourrait que cette impression de sécurité ne soit que naïveté. Peut-être vaudrait-il mieux que je fasse attention ? Il y a deux mois, j’ai déclaré à une soirée que j’allais rentrer à pied : après tout il faisait beau et chaud, mes 20 minutes de marche seraient agréables. Ce à quoi un ami américain a rétorqué « Tu ne fais pas ça, ces rues ne sont plus sûres ». Il avait en tête une idée bien précise : une fille de son entourage avait commencé à se faire agresser une nuit (le drame fut heureusement évité). Après m’être renseignée, il s’avère qu’il s’agissait d’un groupe d’étrangers en sortie de club. Il est vrai que j’ai déjà pu voir de mes propres yeux et avoir eu vent de comportements d’étrangers assez énervants (disputes, échanges de coups, humiliation d’un chinois éméché en pleine rue la nuit…). Cette poignée d’étrangers répandent une image négative et biaisée de la population expatriée aux yeux des chinois, alors qu’il ne s’agit que d’une minorité. Mais ce comportement du « je me crois tout permis en dehors de mon pays » a pu jouer pour influencer le sentiment d’insécurité. Il semblerait donc que le harcèlement ou les agressions sexuelles à Pékin ne soient que des phénomènes marginaux (sous-entendu : plus marginaux qu’en France).
Cet article n’est pas là pour émettre un jugement, mais seulement pour décrire la comparaison d’un phénomène. Je ne nie pas donner ici un des (nombreuses) raisons qui fait que la vie à Pékin me paraît souvent plus simple que celle à Paris, et ce malgré ses propres aléas. Je ne cherche pas à encenser la Chine. Ce pays doit également connaître ses propres problèmes relatifs à l’égalité des sexes, mais je ne pense pas pouvoir les juger dans leur ensemble. De mes yeux, j’ai pu remarqué que le communisme avait plutôt eu un apport positif en terme d’égalité des sexes. J’ai l’impression que les préjugés usuels sont moins présents.
Il serait néanmoins intéressant de comprendre les raisons qui font qu’aborder une femme dans la rue soit plus courant à Paris qu’à Pékin. Reste donc ce constat : dans les rues de Pékin, être une femme ne crée pas de différences.
Chinoisement Vous
